Par Patrick Kachur, le 25 avril 2017
C’est aujourd’hui la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, avec un thème qui mêle ambition et espoir : « En finir pour de bon avec le paludisme ».
Ce message est accrocheur, il résume un objectif universel. Il nous pousse également à dresser un bilan lucide pour comprendre où nous en sommes exactement dans notre combat contre cet ennemi déroutant. Et, plus important encore, à comprendre ce qui doit changer pour espérer en finir avec une maladie qui a encore tué 429 000 personnes en 2015 et continue à coûter la vie à un nombre tragique d’enfants de moins de 5 ans en Afrique.
La bonne nouvelle, c’est que cette franche autoévaluation nous autorise tout de même à un certain optimisme. Nous pouvons célébrer avec enthousiasme les succès éclatants de ces 15 dernières années. En même temps, il reste d’inquiétantes lacunes dans les connaissances et les pratiques utilisées pour combattre le paludisme. En particulier, une meilleure vigilance, basée sur le signalement de cas de paludisme confirmés en temps réel, serait à même de concentrer les ressources anti paludisme à l’endroit et au moment où elles seraient le plus efficaces. Elle servirait d’outil pour une évaluation et une amélioration constantes et fournirait la base d’une action dès les premiers stades, en cas de reprise de la maladie ou de début d’épidémie.
Des travaux visant à résoudre ces problèmes – et d’autres – sont déjà en cours. C’est déjà une bonne nouvelle.
En voici d’autres.
Même si le paludisme reste une menace mondiale, les efforts internationaux ont abouti ces dernières années à de vraies réussites et à des résultats tangibles. À tel point qu’il existe désormais une réelle possibilité, confortée par la science et l’expérience, d’arriver à contrôler et même à éradiquer le paludisme d’ici une ou deux générations.
La roue tourne déjà.
Voilà déjà 16 mois que nous avons entamé la mise en œuvre de la Stratégie technique mondiale (STM) contre le paludisme, 2016–2030 lancée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). La STM est une stratégie englobant de nombreux aspects, adoptée par les dirigeants dans le domaine de la santé publique pour s’attaquer au problème du paludisme dans toute sa complexité.
Ce qui est important, c’est que la STM définit une feuille de route et des indicateurs afin d’orienter et d’évaluer les progrès du contrôle et de l’éradication du paludisme. Elle se base sur trois importants piliers, qui sont interdépendants :
1. Assurer l’accès universel à la prévention, au diagnostic et au traitement du paludisme ;
2. Accélérer les progrès accomplis en vue de l’éradication ; et
3. Transformer la vigilance en force centrale d’intervention.
À chaque Journée mondiale de lutte contre le paludisme, le premier de ces trois piliers est toujours au cœur des préoccupations – et ce, pour de bonnes raisons.
Depuis 2001, les pays touchés par le paludisme et leurs partenaires internationaux s’adressent à des centaines de millions de personnes chaque année, en leur apportant des outils éprouvés de prévention, de diagnostic et de traitement du paludisme. Nous savons que ces outils fonctionnent ; des milliards de moustiquaires enduites d’insecticide, de tests de diagnostic rapide et de médicaments anti paludisme ont contribué à sauver 6,8 millions de vies, notamment dans les zones ravagées par le paludisme. C’est certain, c’est un exploit impressionnant. Pourtant, les progrès ont été inégaux. Ces outils simples doivent encore parvenir à des millions d’autres personnes en situation de risque. En outre, ils doivent être remplacés chaque année.
Si on veut en finir avec la malaria, il faudra compter sur l’engagement constant de partenaires afin de pouvoir toucher encore plus de gens, tout en identifiant des moyens de cibler les outils de prévention, de diagnostic et de traitement là où ils sont le plus nécessaires.
Le second pilier est un défi tout aussi important. La STM appelle la communauté internationale à éliminer le paludisme dans au moins 35 pays d’ici 2030. Nous avons déjà connu une telle situation. Au milieu des années 1950, le paludisme avait été éliminé de dizaines de pays et de territoires, y compris des États-Unis (en partie grâce aux premiers travaux des Centres américains de prévention et de contrôle des maladies (CDC), avec entre autres des mesures fédérales pour aider les États à éradiquer le paludisme, il y a déjà 75 ans de cela).
Mais, à mesure que la prévalence diminuait, la complaisance s’est installée. La résistance contre les médicaments et les insecticides a fini par émousser les outils de l’époque. Ainsi ces efforts d’éradication du milieu du XXe siècle se sont malheureusement interrompus. Suite à cela, pendant au moins 20 ans, pas un seul pays n’a été reconnu comme ayant éliminé le paludisme. Fort heureusement, la suspension des actions mondiales contre la maladie n’a été que temporaire. Depuis 2007, sept pays ont été certifiés par l’OMS comme « sans paludisme » et 12 autres ont rapporté pour l’année 2015 zéro cas de cette maladie. Les efforts actuels visant à « en finir pour de bon avec le paludisme » sont en train de prendre de l’ampleur. L’OMS a développé un cadre pour l’éradication du paludisme: il énonce qu’afin d’infléchir la tendance vers le zéro cas de paludisme, il faut que nous accélérions l’accès aux interventions actuelles dans les pays durement touchés et que nous modernisions notre outillage – en développant de nouveaux traitements lorsque la résistance menace, en concevant de nouvelles approches pour contrôler les populations d’anophèles et en poursuivant les recherches vers un vaccin efficace – et ce même si un nombre croissant de pays à faible transmission se dirigent vers l’élimination.
Alors que pour les deux premiers piliers, nous pouvons pointer les progrès, les résultats concernant le troisième sont plus difficiles à évaluer. Une meilleure vigilance permet d’économiser de l’argent et de concentrer les ressources humaines et matérielles là où on en a le plus besoin, mais la collecte de ces données et le développement d’une culture de leur utilisation en vue d’orienter les décisions des programmes à mettre en place, voilà qui nécessitera un sacré basculement. C’est pourquoi mes collègues et moi-même avons passé des heures à réfléchir à diverses stratégies, approches et innovations. C’est un exercice riche en opportunités et en promesses, étant donné que de nos jours la technologie nous fournit de nouveaux outils de collecte, d’échange et d’interprétation de données, qui sont plus rapides et plus dynamiques que jamais.
Dans les pays qui sont sur le point d’éliminer le paludisme, tels que l’Afrique du Sud, chaque cas de la maladie déclenche localement une enquête pour identifier et contenir la transmission avant qu’elle ne s’étende. Dans les pays qui ont une forte prévalence du paludisme, tels que le Nigeria ou la république démocratique du Congo, tenter d’enquêter, même sur une fraction des cas déclarés, submergerait les responsables de santé. Mais l’idée fondamentale qui consiste à transformer les systèmes de vigilance en unités d’intervention efficaces commence à prendre forme, même dans les pays fortement touchés. Les tests de diagnostic rapide du paludisme (TDR) permettent à présent de distinguer le paludisme des autres maladies causant des fièvres similaires. En 2015, plus de la moitié des cas de paludisme signalés par les pays africains les plus touchés ont été confirmés par un diagnostic. Ceci aide à réduire l’utilisation excessive ou inappropriée de traitements anti paludisme très efficaces, économisant ainsi les ressources.
Mais la confirmation diagnostique a un autre intérêt. Elle permet de savoir avec certitude quand et où les cas de paludisme se produisent. Les pays où le paludisme est endémique commencent tout juste à tenir compte des informations potentiellement précieuses générées par leurs actions de diagnostic et de traitement. Il y a seulement dix ans, ce type d’informations n’était pas fiable ou pas disponible. Pourtant la valeur de ces nouvelles données est encore sous-estimée. Les systèmes d’information sur la santé s’adaptent, désormais les données peuvent être partagées plus rapidement et plus précisément qu’autrefois. Mais on constate que trop peu de responsables de la santé publique et de programmes anti paludisme disposent des compétences et de l’expérience nécessaire pour interpréter les tendances et pour cibler les outils d’intervention à l’endroit et au moment où ils sont le plus nécessaires. Et la capacité à reconnaître, confirmer et contrer de possibles reprises de la maladie ou débuts d’épidémie est encore moins développée.
Donc, en cette Journée mondiale de lutte contre le paludisme, alors que nous célébrons les progrès indiscutables accomplis ces 15 dernières années, nous avons besoin tout autant de maintenir les engagements et l’élan que nous avons pris récemment, et de progresser encore, de consacrer notre intelligence à trouver des moyens de recueillir et d’utiliser les données que nous générons déjà – afin d’orienter et de mesurer nos progrès. Sans l’ombre d’un doute, les investissements dans la prévention, le diagnostic et le traitement continueront à avoir un impact tangible, très encourageant, sur la morbidité et la mortalité dues au paludisme. Mais cette Journée mondiale est surtout l’occasion d’analyser de façon lucide, voire sceptique, ce qu’il nous reste à faire pour en finir pour de bon avec le paludisme.